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Derrière la corrida, l’enjeu de la conscience ?

Bertrand Marie FLOUREZ
22/11/2022



D’abord les mots. « Spectacle », « sensibilité animale », « tradition », « violence », « culture », « souffrance », « patrimoine immatériel », « torturer un être sensible pour se distraire… », « ce n’est qu’un animal », « activité économique », « environnement naturel préservé », sans compter les arguments juridiques, lois et règlements, entre autorisations et interdictions.



Les mots. Les mots ont un sens. Plus encore, René Char nous avertissait de leur pouvoir, lui qui disait dans les Chants de la Balandrane : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ». Ainsi en est-il de « tauromachie » ou encore de « corrida ». 

S’agit-il donc seulement d’un débat (ou combat d’arguments) pour qualifier des actes, une morale ou une éthique, une sensibilité, des normes, des idéologies, ou encore des réalités ? En d’autres termes, la sensibilité, évidente chez tous les êtres vivants et donc chez les animaux, est-elle seulement l’enjeu de la question de la corrida ? Elle l’est de toute façon dans l’élevage animal, poulets, porcs, bovins, mais aussi les poissons, de la naissance à l’abattage. Ainsi en l’état, la question ne serait pas de savoir s’il l’on peut ou non tuer un taureau, mais de savoir de quelle façon peut-on le faire. Est-ce bien seulement cela ? 

La sensibilité ne pourra pas cacher longtemps la question de la conscience. 

Mais voilà, qu’est-ce que la conscience ? Là encore les mots sont nombreux, de « conscience de soi » à « conscience morale », en passant par « conscience de l’humanité », « perte de conscience », « conscience altérée », etc. Débat philosophique, neurologique, scientifique, métaphysique, religieux ? D’aucuns se contentent d’un parti pris, une décision arbitraire pour satisfaire un postulat finalement idéologique : la conscience est une affaire de neurones. Un développement particulier des neurones. L’idéologie sous-jacente tranche ainsi le débat de fond entre l’humain et l’animal : même matière. Pour cette position idéologique : pas de différence de nature, peut-être une différence de degré. 

Pourtant, si l’on formule différemment : « l’humain est-il un animal comme les autres ? », il semble difficile de répondre oui d’emblée. La différence se constate. Mais retour au point de départ : il faut alors se demander pour quelle(s) raison(s) ces différences existent. Cela exige donc d’accepter le débat, scientifique, philosophie, neurologique, religieux, etc. 

Sans doute pourrait-on dire que nous sommes innocents du développement de notre cortex cérébral, et si nous avons développé tant de connaissances, de techniques, de sciences, ce n’est pas notre faute… Dans la grotte, l’ours grattait ses griffes sur les parois, tandis qu’à côté de lui, un jeune couple d’humains passait son temps à peindre des chevaux pour décorer sans doute la chambre du petit… 

Cela étant, que l’humain soit un animal ou non ne justifie en rien les comportements violents, sadiques, dégradants ou pervers envers quiconque, qu’ils soient humains ou animaux ! 
D’où nous vient alors cette prescription, voire injonction ou même morale ? De la conscience. Quand bien même nous avons construit des ordres culturels, juridiques et artistiques sur nos comportements, ces constructions ont leur origine dans la conscience qui donne sens à notre sensibilité. 

Des loups, nous disent des bergers, égorgent des brebis et les laissent mortes, sans même les dévorer entièrement. Seraient-ils (eux aussi) sadiques, criminels pour le plaisir ? En tout cas, nous n’avons pas oublié qu’ils sont des prédateurs y compris envers nous. Et nous concernant, est-ce le développement cérébral qui fait de nous un monstre qui massacre les animaux, la nature, la planète, et se massacre lui-même bien entendu, ou est-ce indépendant ? Est-ce que notre différence se résume à ce que les lions n’ont pas encore inventé des enclos pour l’élevage des gazelles alors que de notre côté, nous gagnons de l’argent en montrant des lions en cage ?

Ce dont finalement nous avons peur, c’est de nous-mêmes. L’ignorance de nous-mêmes. Notre in-connaissance, alors que nous sommes capables de concevoir des intelligences artificielles mécaniques plus fortes que nous. Et nous savons que nous sommes ignorants parce que nous avons une conscience particulière, une conscience différente de celle des animaux, alors même que nous avons la même sensibilité, cinq sens et des émotions. Il faut alors écouter, « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux », mais que la conscience a déjà entendu dans le silence de notre humanité. 

Cette question de la conscience est sans doute le point aveugle et crucial de notre époque, le point de bascule tant sur le plan des sciences et de la connaissance, de la politique et de la géopolitique, de l’économie et de la mondialisation. Comment décider, comment faire des choix si nous ne savons pas (ou plus) qui nous sommes, individuellement et collectivement ? 

Jadis, mais il y a bien longtemps, on jugeait les animaux comme les humains. Le ferait-on encore ? On peut en douter. Mais, dans le cas d’espèce qui nous agite ces jours-ci, ce qui fascine, dans l’attraction comme dans la répulsion, c’est ce que consacre le spectacle tauromachique : la différenciation fondamentale entre l’homme et l’animal parce qu’elle nous renvoie à notre incomplétude.  
  






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